Négociations de Luanda pour la paix dans l’Est de la RDC : Kagame incapable de faire plier Tshisekedi

Diplomatiquement, un État est libre de participer à des négociations, suspendre sa participation voire s’en retirer tout aussi librement qu’il y a consenti, souveraineté nationale et indépendance politique obligent. Il n’y a AUCUNE contrainte en matière de négociation. Cependant, sur les plans politique et stratégique, je suis d’avis que la posture du Rwanda est non seulement une stupide bêtise mais reflète une situation de catch-22 dans laquelle il se trouve enfermé.

Parce que parachever le processus de Luanda, lequel est STRICTEMENT entre États et ne concerne aucun groupe armé, c’est prendre le chemin menant vers un compromis relativement historique à l’avantage de Kinshasa ; se retirer du processus du Luanda en prétextant une absence d’avancée du processus de Nairobi, lequel concerne STRICTEMENT les discussions entre Kinshasa et les groupes armés locaux, dont le M23, a le gros désavantage de créer une impasse et accentuer une pression diplomatique Internationale en défaveur du Rwanda, surtout d’autant plus que les États-Unis d’Amérique, l’acteur le plus important dans la région et sur la scène internationale, sont en pleine transition vers une nouvelle Administration, celle d’un Donald Trump qui est notoirement connu pour ne pas s’encombrer d’approche idéologique, préférant une approche transactionnelle des relations internationales.

Je peux spéculer qu’il s’agit là d’un coup de colère de Kagame, fâché contre la tournure des événements, incapable d’avoir réussi à faire plier Fatshi, ni militairement, ni diplomatiquement. Pour ne rien arranger, Kinshasa semble résolu à redynamiser l’axe stratégique avec Kampala – ce qui a été en fait l’élément déclencheur de la colère de Kagame en 2021, alors que se mettaient en place le projet routier ougando-congolais et l’opération de mutualisation Shuuja, deux développements régionaux majeurs qui l’ont poussé, lui Kagame, à ramasser le M23 de la « poubelle historique » dans laquelle elle était jetée depuis 2013 et à la remettre sur scène.

À ce stade, pour Kinshasa, plier aux caprices de Kagame en acceptant un déterminisme causatif ou une conditionnalité entre les processus de Luanda et de Nairobi reviendrait à tomber dans un piège et à refaire les mêmes erreurs que par le passé, quand le jeu rwandais était assez peu lisible. Mais maintenant, 17 ans après le gentlemen’s agreement de janvier 2007 (quand John Numbi avait conclu un deal avec Laurent Nkunda à Kigali sous la médiation de James Kabarebe, mettant en place le fameux mixage en lieu et place du brassage pour les troupes du CNDP); *15 ans* après les accords d’Ihusi négocié entre Raymond Tshibanda et Bosco Ntaganda et signé le 23 mars 2009 consacrant UNE SECONDE FOIS un traitement de faveur au profit de la rébellion pro-rwandaise; et 11 ans après la Déclaration de Nairobi du 8 décembre 2013 par lequel Kinshasa avait promis des largesses à une autre rébellion pro-rwandaise devenue cette fois-là le M23 (alors même qu’il était VAINCU militairement un mois plus tôt ! ) ….refaire ENCORE l’erreur d’accorder un nouveau traitement de faveur à une autre rébellion pro-rwandaise, même si elle se fait à nouveau appeler M23 ou AFC, ce serait pour Kinshasa plus que de la stupidité, ce serait de la SORCELLERIE – je le dis sans excès ni outrance de langage. Car le M23 n’a pas des revendications LÉGITIMES !

Les menaces sécuritaires contre la communauté Tutsi vivant au Congo sont pour l’essentiel exagérées et dépourvues de bases factuelles. Les « discours de haine » dont ce mouvement du M23 affirme les Tutsis congolais être victimes ne sont ni systématiques ni traduits, pour les quelques cas isolés, en politique de l’État congolais contre la communauté Tutsi congolaise, ni encore moins relayés au sommet par les plus hauts responsables de l’État congolais. Il en va de même des menaces sécuritaires, tout autant chimériques, que ferait peser sur cette même communauté la seule présence des FDLR à l’est de la RDC. Les menaces contre les Tutsi du Congo sont surjouées à des fins de manipulation politique.

Concernant les insistances du M23 pour le retour des « centaines des milliers » de réfugiés Tutsi congolais qui seraient toujours dans les pays voisins à la RDC, lequel retour a toujours constitué l’une des revendications récurrentes des différentes rébellions pro-rwandaises qui ont apparu et réapparu dans le Kivu au cours des deux dernières décennies, il est curieux que une MÊME communauté puisse réclamer le statut de réfugiés de part et d’autre d’une MÊME frontière ! Cela pue du stratagème destiné soit à constituer une colonie de peuplement de populations étrangères en RDC pour altérer la démographie de cette région en faveur des ambitions à long terme du Rwanda, sous couvert d’un « retour » des réfugiés, soit à justifier perpétuellement un cycle ininterrompu de violence et d’instabilité pour affaiblir durablement l’Etat congolais avant de saucissonner une partie de son territoire.

Après avoir refusé FERMEMENT trois ans durant toute négociation avec le M23, pour toutes ces bonnes raisons sus évoquées, il serait stupide, eh oui le mot n’est pas assez fort pour le dire, pour Kinshasa d’infléchir sa position du seul fait d’une impatience aussi soudaine qu’inexpliquée à conclure coûte que coûte un accord avec Kigali.

Car le Rwanda sait PARFAITEMENT que toute concession accordée par Kinshasa à une rébellion pro-rwandaise n’est au meilleur des cas qu’un répit. Que ce répit dure deux, cinq, dix ou quinze ans, toujours est-il qu’un tel aveuglement menant à refaire constamment LES MÊMES ERREURS que par le passé n’est PAS la voie menant à la paix ni à juguler la vieille crise sécuritaire à l’est de notre pays, mais au contraire est de nature à servir les desseins funestes à long terme de Kigali.

Remarquez que chaque cycle du conflit qu’attise le Rwanda sur le sol congolais comporte toujours deux phases, chacune faisant le lit pour la suivante, à savoir : 1) une phase ouverte, où des forces rwandaises interviennent directement sous le paravent d’une rébellion pro-rwandaise, et 2) une phase couverte, où le Rwanda infiltre subtilement ses éléments armés travaillant sous couverture des milices congolaises authentiques ou soit des fausses milices congolaises. Chaque fois que, sous la pression des événements, une phase ouverte de l’interventionisme militaire du Rwanda s’apprête à se résorber, tout est fait par Kigali pour préparer la phase couverte durant laquelle les forces rwandaises opèrent au Congo en hibernation. Et le moment venu, la quadrature du cercle serait faite à nouveau, pour perpétuer l’insécurité en RDC….

Pour faire court, en réponse aux entourloupes du Rwanda, qui insiste maintenant que toute conclusion d’un accord dans le cadre du processus de Luanda avec la RDC devait être conditionnée à une négociation entre le M23 et le gouvernement de la RDC, ce dernier devrait rétorquer que le M23 étant un mouvement congolais, il est inacceptable que le Rwanda se mêle des affaires intra- et intercongolais, et envoyer Kigali se promener….

Si Kigali ne veut pas d’un règlement négocié, il en subira la responsabilité diplomatique. Mais ON NE FORCE PAS UN ACCORD quand on a encore TOUTES les cartes en main. Les Congolais ne devraient pas accepter la situation que leur impose le Rwanda comme une fatalité.

Le M23 ne porte AUCUNE revendication politique SÉRIEUSE. Sa réapparition procède d’un simple mouvement d’humeur de l’homme fort de Kigali. Il en va de même d’ailleurs de son apparition en avril 2012. Pour exemple, rappelez-vous comment en 2011 le CNDP (l’ancêtre du M23) devenu officiellement membre de l’AMP, battait campagne en faveur de Joseph Kabila contre Etienne Tshisekedi, les militaires du CNDP allant jusqu’à FORCER les électeurs à voter pour le candidat numéro 4 dans le Masisi. Une fois les élections à peine terminées, le M23 apparaît (constitué en fait des MÊMES éléments du CNDP) et entre en rébellion…sur ordre de Kigali. Parmi leurs revendications : « la vérité des urnes » concernant les élections du 28 novembre 2011…

Bruno Lepapa, expert en règlement des conflits internationaux 

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