
Pourquoi Kagame a commis une grosse bêtise en ressuscitant le M23 en novembre 2021 ? Pourquoi et en quel sens est-il stratégiquement aux abois ? Parce que :
1. En allant ramasser le M23 de la poubelle de l’histoire et en la recyclant sous les mêmes prétextes que les précédentes rébellions pro-Tutsi (CNDP, M23 vers 1), à un moment où les relations entre Kinshasa et Kagame connaissaient une embellie, dans un contexte où le pouvoir de Kinshasa faisait la preuve de son ouverture à l’endroit de TOUS ses voisins, Kagame a affaibli sa posture en démontrant lui-même, par l’absurde, la vacuité de son casus belli ; en fait, qu’il n’avait plus aucun casus belli crédible face à une RDC qui, sous Fatshi, s’est appliquée à multiplier des gages de bonne foi envers tous ses voisins, y compris le Rwanda, qui s’est défaite, toujours sous Fatshi, d’un obscurantisme stratégique qui l’emmenait à ne pas se soucier des préoccupations sécuritaires LÉGITIMITES de ses voisins. Du coup, cela a renforcé la posture de la RDC qui ne pouvait désormais plus être accusé de faire peu de cas des préoccupations sécuritaires des voisins qui n’en étaient plus unes ! La RDC s’est alors débarrassée de la plus grosse casserole qu’elle traînait depuis plus de vingt ans.
2. De deux, la communauté Tutsi au Congo n’a apporté qu’une adhésion extrêmement limitée à la cause du M23, isolant du coup Kagame et le mettant sous les projecteurs de la critique internationale qui prenait davantage conscience que les soit-disantes préoccupations sécuritaires du Rwanda ou de la communauté Tutsi au Congo avaient pris de l’âge. Par conséquent, même si la réponse de la communauté internationale aura été sa fausse équivalence habituelle, d’autant facilité par quelques maladresses de Kinshasa et des éléments de langage non adéquats, ce qui s’est traduit par une absence de condamnation ferme de Kigali, comme l’espérait et le demandait Kinshasa, Kagame ne peut plus se prévaloir d’avoir convaincu l’opinion mondiale de la crédibilité de ses prétentions, car dépourvues de casus belli valide face à un adversaire, Fatshi dont la diplomatie peut être accusée de tout sauf de la quête de normaliser ses relations avec ses voisins et au besoin mutualiser les intérêts, là où cela a été possible. Pour dancer le tango, il faut être à deux, dit-on. Eh ben, en ressuscitant le M23 alors que les circonstances ne s’y prêtaient pas et que les nuages étaient éclaircis, Kagame a démontré qu’il n’était pas intéressé à danser le tango, prouvant que le problème, le premier problème, était lui-même ! Et ce au-delà et en dépit des erreurs tactiques que Kinshasa aurait pu avoir commises.
En somme, en retournant à ses propres vomissements, par un temps clair, Kagame a surjoué sa carte et s’est trompé :
1. d’époque ( la RDC n’étant plus aussi diplomatiquement inactive et peu loquace qu’elle l’était par le passé).
2. d’adversaire (un Chef d’État congolais particulièrement aux aguets)
Voici pourquoi il se retrouve, depuis ce mauvais, stratégiquement aux abois :
1. Au début de sa résurgence entre novembre 2021 et mars 2022, le M23 a été aligné comme un simple mouvement armé et non pas comme une rébellion classique, menant une guerre asymétrique face à l’armée congolaise et aux casques bleus de la MONUSCO. Cette posture rendait le M23 insaisissable militairement mais inaudible et peu crédible sur le plan politique (pcq ne pouvant pas porter des revendications pouvant contraindre Kinshasa à s’asseoir avec lui, le M23, autour de la table de négociations). Ayant constaté les limites de cette posture, Kagame est passé à la vitesse supérieure dès avril 2022 en injectant massivement ses propres forces régulières dans la bataille, transformant le M23 en une rébellion classique ayant vocation à s’emparer des territoires étendus de manière à en échanger leur contrôle contre l’acceptation par Kinshasa de ses revendications politiques. Mais Kinshasa, malgré certains revers militaires, a tenu tête, refusant TOUTE négociation, en bonne partie sous la pression populaire de l’opinion congolaise chauffée à bloc contre le bellicisme rwandais, sur fond des sentiments anti-rwandais et anti-Tutsi déjà bien exacerbés depuis plusieurs années. La SEULE façon de faire plier Kinshasa, pour lui faire avaler, une fois de plus, la pilule amère, était d’accentuer la pression militaire et prendre Goma, comme en novembre 2012. Mais là encore, Kinshasa s’est débrouillé et démené pour prévenir une telle issue, au même moment qu’il accentuait la pression diplomatique sur Kigali.
2. Du coup, ne pouvant plus forcer la main de Kinshasa militairement, car incapable de s’emparer de Goma, ni politiquement, car Kinshasa maintenait sa posture de dénier toute légitimité aux revendications du M23 qu’il jugeait fantaisiste, Kigali s’est vu forcer d’ouvrir un autre front inférieur en co-optant quelques aigris congolais ménés par Corneille Nangaa afin de renforcer politiquement le M23 et de créer ainsi un semblant de légitimité congolaise à l’aventurisme militaire du Rwanda. Comptant sur les difficultés socioéconomiques et des querelles politiques internes à la RDC sur fond des tensions électorales pour faire basculer l’opinion publique congolaise en faveur de la rébellion du M23-AFC, Kagame ne pouvait rêver que d’une réédition du basculement de l’opinion congolaise en mars 1997 quand, après la chute de Kisangani, l’AFDL s’est transformée, comme par un miracle, dans la tête des Zaïrois d’une agression extérieure en un mouvement de libération. Erreur ! Fatshi, contrairement à Mobutu à la fin de son règne, était tout sauf affaibli politiquement et les sentiments anti-rwandais étaient à ce point exacerbés que pas même les insuffisances du gouvernement de Kinshasa sur le front social, ni les tensions croissantes avec l’opposition, ne pouvaient faire oublier aux Congolais que leur pays était en proie à une agression militaire menée par le Rwanda contre leur pays.
Ainsi donc un Kagame coincé militairement, car ne pouvant pas avancer au-delà dépit de trois territoires congolais qu’il a pris (Masisi, Rutshuru et Nyirangongo), politiquement, car incapable d’asseoir la légitimité de ses poulains ni de l’AFC ni du M23, et diplomatiquement, car coincé dans le carcan d’une médiation régionale imposée par l’Union africaine, n’avait plus de choix que jouer la montre, sauver la face et faire ce qu’on appelle en anglais du wishy-washy (du superficiel, du rébarbatif, du stéréotypé) qui traduit un manque d’originalité, pour faire court, une impasse.
Il est stratégiquement aux abois pcq il sera BEAUCOUP PLUS COÛTEUX politiquement et diplomatiquement, une fois la énième crise du M23 résorbée, même en l’absence de victoire militaire décisive de Kinshasa et de ses alliés, de réediter l’aventure, mieux la mésaventure M23, surtout que l’humanité toute entière s’achemine vers une nouvelle reconfiguration géopolitique à la faveur des événements qui se déroulent actuellement en Ukraine et au Proche-Orient.
C’est ce qui signera durablement la défaite stratégique de Paul Kagame, déjà aux abois depuis 3 ans.
Il a ressuscité le M23 sur un coup de tête, récoltant de minuscules victoires tactiques, qui ont été toutes à la Phyrrus car consacrant une lourde déconfiture stratégique.
Un peu comme l’invasion de Koursk par l’armée ukrainienne depuis août dernier : une formidable percée tactique mais une stupide bévue stratégique de Zelensky qui a accéléré la débandade de son armée.
Bruno Lepapa, expert en règlements des conflits internationaux
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