RDC contre M23/RDF : étude transactionnelle du conflit

Avant de proposer des solutions viables à tout conflit ou toute crise, il importe d’en faire préalablement une étude transactionnelle des actions et positions des protagonistes visant à configurer l’échiquier stratégique à leur avantage avant d’y abattre leurs « cartes », en d’autres termes ce qu’on appelle des transactions stratégiques, dans le but de faire prévaloir leurs intérêts sur ceux du camp adverse, à défaut de trouver un équilibre contentant les parties en présence. Car, en géostratégie, la guerre est comprise comme étant la conséquence de la volonté d’un acteur de rompre un équilibre, tandis que la paix est la restauration de cet équilibre ou la constitution d’un nouvel équilibre. La « paix » n’est rien donc qu’une étape transitoire entre deux équilibres, durant laquelle chaque partie met toute son intelligence, toutes ses ressources à se préparer à configurer l’échiquier dans le sens qui lui permettra, soit de préserver le plus longtemps possible l’équilibre existant, au cas où il lui est avantageux, soit à le perturber, à l’altérer, au cas contraire. Que cette transition prenne une année, deux, dix ou cinquante années, cela ne change rien aux motivations sous-jacentes, aux intentions et aux calculs stratégiques des protagonistes à un conflit, soit en phase latente ou en phase ouverte/déclarée.

Nous allons donc devoir nous intéresser fortement aux transactions stratégiques en rapport avec le conflit entre la RDC et du Rwanda. Mais pour ce faire, et avant tout, il nous faudra intérioriser des notions comme celles de transactions stratégiques et des valeurs leur associées.

J’ai estimé que la meilleure façon de faire assimiler ces notions, avant même d’aboutir au cas qui nous préoccupe, celui du conflit entre le Rwanda et la RDC à travers la crise actuelle du M23, il serait bon d’étudier un cas d’école qui est classique en Relations Internationales, celui de la crise des missiles de Cuba de 1962. Ensuite, je me pencherai sur un cas contemporain mettant aux prises une personne qui faisait partie de mes connaissances.

Une fois équipés de ces notions (les transactions stratégiques et leurs valeurs associées), il nous sera plus facile d’étudier l’échiquier stratégique du conflit au moment où se négociait ou devait être conclu l’accord de Luanda dont la signature était prévue le 15 décembre 2024 ; de comprendre POURQUOI Paul Kagame ne pouvait en aucun cas le signer en cet état ; dégager les erreurs commises par la partie congolaise (car, dans une négociation réussie, il faut TOUJOURS partir du principe que la partie adverse est plus intelligente que soi, et non pas l’inverse, de manière à anticiper ses transactions stratégiques pour au besoin, le « consoler » par des transactions lui permettant de sauver la face).

Une négociation réussie, qu’elle soit menée en posture fermée-fermée ou fermée-ouverte, est celle à l’issue de laquelle les deux parties peuvent publiquement chacune ‘crier victoire‘, bien qu’en réalité le camp victorieux est celui qui a engrangé ou fait aboutir les transactions stratégiques possédant plus de valeur réelle (On explique ces notions capitales tout à l’heure…).

Les Congolais détestent les Rwandais, certainement à juste titre, davantage maintenant que par le passé. Mais ils ont eu tort d’avoir étalé leur mépris (justifié) sur la table des négociations à Luanda, n’offrant à la partie rwandaises que peu ou pas des transactions à valeur nominale en guise de prime de ‘consolation‘. Sentant le piège se refermer contre lui sur le front diplomatique, Kagame ne pouvait que chercher à desserrer l’étau sur le front militaire… Soit, nous y reviendrons. Mais commençons par le commencement.

Comme dit plus haut, la paix est un équilibre, la guerre est la rupture de celui-ci. Que cet équilibre soit précaire ou durable, les parties en présence recherchent d’abord une configuration de l’échiquier (compris ici au sens de l’équation stratégique) qui leur convient de manière à passer des transactions (qui sont des postures servant au mieux leurs intérêts) de valeurs diverses, dans le but de prévaloir sur la partie adverse quand l’équilibre sera rompu. Si une des parties prend trop d’avance dans la configuration de l’échiquier, il est dans l’intérêt de l’autre de rompre l’équilibre au plus vite ou de menacer de le faire, dans le but, soit de revenir à l’équilibre antérieur, soit de trouver un nouveau, qui deviendra la nouvelle normalité, fruit de la confrontation froide ou chaude entre les protagonistes.

1) Les notions de base

Quand j’apprenais il y a 23 ans les notions de trade-off negotiations auprès de Dereld Quillin, de très heureuse mémoire, celui-ci, chaque fois qu’il était question d’affecter des valeurs à des transactions, employait en anglais les termes de loutward value et de inward value, ce que j’estime plus commode en français, empruntant un peu au jargon du monde de la finance, d’utiliser les termes de valeur nominale (VN) et de valeur réelle (VR).

Une valeur nominale (VN) est celle que prend une transaction passée par un acteur quand son effet concerne la réputation, l’image, les facteurs extérieurs, les impressions, les apparences, ou les positions d’apparat d’un acteur.

La valeur réelle (VN) est celle qui confère de la vraie valeur à un acteur dans l’échiquier, lui apportant du crédit qui lui permet d’avancer, de « marquer des points« , pour ainsi dire, face à l’adversaire. Une VN peut être minimale, dans ce cas, elle vaut 0 (VN 0) ; ou bien maximale et dans ce cas elle est de 1 (VN 1). Mais elle peut aussi prendre la valeur de 0/1 quand elle est de 0 pour une partie alors qu’en réalité elle est de 1 pour l’autre (VN 0/1). L’inverse est aussi vrai, la valeur 1/0 est assignée à une valeur nominale quand une partie la croit maximale alors qu’elle n’est que minimale pour l’autre (VN 1/0). La même chose vaut, en suivant la même logique, pour les valeurs réelles : ainsi on parle de VR 0, de VR 1, de VR 0/1 ou encore de VR 1/0. Une situation en négociation ou de conflit atteint une phase rendant possible un équilibre quand les deux parties passent des transactions de valeur réelle VR 1 de part et d’autre (formalisé par VR 1 <> VR 1). Tout ceci semble assez abstrait, mais appliquons ces notions à l’étude transactionnelle de quelques cas d’école avant de poursuivre et pour mieux en saisir tout l’intérêt dans notre discussion.

2) Crise des missiles de Cuba de 1962

Configuration du contexte stratégique

Quand le monde a basculé dans l’ère atomique et dans la course aux armements, les deux superpuissances mondiales, les USA et l’URSS, avaient atteint vers la fin des années 1950 une phase d’équilibre apparent, avec d’une part un avantage certain du côté nucléaire pour les USA, et d’autre part, un avantage certain pour l’URSS dans la conquête spatiale. Quantitativement, les USA disposaient au début des années 60, de plus de 2.000 ogives nucléaires déployées sur le sol américain ainsi qu’en Italie et en Turquie, contre seulement 500 pour l’URSS installées seulement en Union soviétique. Inutile de dire que cette situation inconfortait le Kremlin. Alors pour établir ou rétablir un semblant d’équilibre, l’URSS procéda aux manoeuvres suivantes :

1) Maskyrova ou campagne de désinformation : Khrouchtchev prétend que son pays fabriquait des armes nucléaires « comme des saucisses » (Il exagérait bien entendu dans le but de flouer les Américains).

2) Intoxication des espions américains : le KGB a formé et lancé en Occident une série de faux agents doubles de faible valeur pour accentuer la maskyrova dans le but d’intoxiquer les Américains.

Ces manoeuvres ont réussi, car les dirigeants américains, face à la quasi impénétrabilité du vaste territoire soviétique par des agents humains et à la maigre moisson de l’espionnage technique (les Soviétiques ayant les moyens d’abattre les avions espions U2 des Américains, comme ils l’avaient fait avec celui de Gary Powers en mai 1960), se sont mis à croire à une parité nucléaire (fictive) entre les deux superpuissances. Qui plus est, l’arsenal soviétique était en proie à toute une série des difficultés techniques, dont les Américains ignoraient tout de l’existence.

Mais la chance tourna du côté des Occidentaux vers le milieu de l’année 1961 quand un colonel de la GRU (renseignements militaires soviétiques), Oleg Penkovsky décida de trahir son pays en devenant un agent double pour le compte de l’Occident. Il livra au M16 et à la CIA des milliers des photocopies de la documentation militaire top secret des Russes portant sur la technologie de leurs missiles nucléaires ainsi que leurs failles. Quand le KGB découvrit, très tôt, la trahison de Penkovsky, les hauts responsables soviétiques en furent fortement préoccupés, moins par la trahison elle-même que par la portée des documents ultra secrets transmis aux Américains qui dévoilaient le pot aux roses : l’arsenal nucléaire soviétique n’était pas aussi impressionnant quantitativement et qualitativement que les Soviétiques le faisaient croire.

Il fallait réagir, non pas en arrêtant immédiatement Penkovsky (au risque de compromettre les propres agents doubles du KGB et leurs méthodes de collecte des renseignements) mais le laisser continuer son espionnage dans le but de « piéger » habilement les Occidentaux, afin de rétablir l’équilibre rompu.

Transactions stratégiques

Afin de rétablir l’équilibre mais aussi de reprendre la main en Europe concernant les tensions à Berlin, Khrouchtchev conçu un calcul qui était basé sur l’idée que puisque les documents top secrets passés à l’Occident du fait de la trahison de Penkovsky étaient de nature à faire douter les Américains de la crédibilité de la dissuasion nucléaire soviétique, il fallait alors le leur montrer au plus près afin de rétablir et re-crédibiliser la dissuasion de l’URSS. Aussi décida-t-il de passer les transactions stratégiques suivantes :

1) Déployer dans le plus grand secret des missiles nucléaires à Cuba (opération Anadyr) : la cote de cette transaction est VN 0 VR1 (la valeur nominale est de 0 car l’opération était secrète ; pour une valeur réelle maximale de 1) ;

2) Une fois installés à Cuba, ne rien faire pour les cacher à la vue des Américains : cote de la transaction VN 1 VR 1.

Khrouchtchev prévoyait qu’une fois l’arsenal nucléaire soviétique à Cuba devenu un fait accompli, Kennedy, jugé jeune, inexpérimenté et indécis comme semblait le montrait son comportement lors de l’opération foireuse de la Baie des Cochons en avril 1961, ne ferait rien en dehors de véhémentes protestations verbales.

Le fait accompli que recherchait Khrouchtchev visait, à défaut de faire douter les Américains de la fiabilité des renseignements Penkovsky, à provoquer un choc émotionnel dans le chef des décideurs américains qui en viendraient alors à « palper du doigt » la réalité de la dissuasion soviétique ;

3) Même si les Soviétiques n’attendaient pas une réponse ferme de Kennedy sur Cuba, ils estimaient quand même qu’au cas où il passait en force à Cuba, cela donnerait également à Khrouchtchev carte blanche pour passer en force à Berlin (transaction VN 1 VR 1).

Khrouchtchev avait une fois dit à Mao Zedong : « Berlin, c’est le testicule de l’Occident. Tu veux faire crier les Occidentaux, presse sur Berlin« .

Ainsi donc, le dirigeant soviétique estimait qu’engager un pari sur Cuba contre son homologue américain lui donnait deux transactions VN 1 VR1 qui lui permettraient en définitive de rétablir l’équilibre stratégique qui risquait de voler en éclats en sa défaveur.

En réponse à ce calcul, Kennedy répliqua de la manière suivante (et c’est ici que le « game » devient intéressant) :

1) Refus d’accepter le fait accompli soviétique (VN 1 VR1)

2) Choix de l’escalade graduée à travers un blocus maritime (pudiquement appelé « quarantaine ») (VN 1 VR 1)

3) Menace d’action militaire contre Cuba avec possibilité d’un échange thermonucléaire entre les deux superpuissances (VN 1 VR 0)

Cet affrontement pouvait entraînait une « destruction mutuelle assurée« , la VR de cette transaction était nulle (0), pour une VN maximale (1) étant donné qu’elle projetait un message clair de fermeté prouvant la hard power des États-Unis d’Amérique.

Pour résoudre la crise des missiles de Cuba, les trois transactions stratégiques furent passées, après négociations :

1) retrait des missiles soviétiques de Cuba (VN 1 VR1)

2) Déclaration officielle des USA de non-invasion de Cuba (VN 1 VR 0/1)

3) Retrait secret des missiles Jupiter d’Italie et de la Turquie (VN 0 VR 1/0)

4) Status quo sur Berlin (VN 1 VR 1)

De prime abord, la confrontation semble s’être soldée par une victoire américaine, car les USA ont bénéficié de deux transactions de VR maximale (transactions 1 et 4) en échange de deux transactions de valeur réelle nulle (transaction 2) et valeur nominale nulle (transaction 3).

C’est connaissant ce calcul que Kennedy insista sur le caractère strictement secret du retrait des missiles américains Jupiter installés en Turquie et en Italie, pour FLOUER LE PUBLIC qui aurait la fausse impression que Khrouchtchev avait retiré ses missiles de Cuba (VN 1) en échange d’une simple déclaration de non invasion de Cuba (VN 0).

D’ailleurs, cette impression de défaite du camp soviétique valut à Khrouchtchev les foudres du Politburo et du Comité central qui le destituèrent deux ans plus tard au profit de Brejnev. Reste qu’à l’issue de l’épreuve de force avec Kennedy, Khrouchtchev pensait lui aussi avoir gagné la partie, car en échange d’une transaction de grande valeur (VR 1), le retrait des missiles Jupiter américains qui menaçaient directement le territoire soviétique depuis l’Europe, même si elle avait une valeur nominale nulle (VN 0), au vu de son caractère secret, l’URSS retirait ses missiles de Cuba en obtenant l’engagement américain de non-invasion de Cuba (VN 1 VR 0).

Ce qu’ignorait Khrouchtchev et les Soviétiques était que le retrait des missiles américains d’Italie et de Turquie était déjà programmé à l’avance par les Américains ! Ces missiles Jupiter étant devenus obsolètes, il était prévu qu’ils soient retirés et remplacés par des missiles Polaris. Voilà pourquoi aux yeux des Américains, cette transaction avait une valeur réelle nulle (VR 0), contrairement à ce que croyaient les Russes (d’où le cote VR 1/0).

Donc, quand on fait le bilan stratégique, immédiatement après la fin de la confrontation, Kennedy semble avoir gagné la partie. Mais, retour de la manivelle, la déclaration de non-invasion de Cuba, qui au départ avait une valeur réelle nulle (VR 0), a commencé à devenir une épine sur les pieds des administrations américaines successives. Les faucons américains dont le général Curtis LeMay ne le pardonneront jamais aux Kennedy, John et son frère Robert, accusés d’avoir émasculé l’Amérique face à Fidel Castro. De sorte que la VR de cette transaction est passée au fil du temps de 0 à 1 ! (Cote final VR 0/1).

Cette équilibre stratégique trouvé dans la péninsule de Cuba a empêché la guerre froide de devenir chaude, introduisant même une période de détente entre les deux superpuissances.

3) Un exemple contemporain

Afin de bien asseoir cette notion des transactions stratégiques et leurs valeurs associées, il me semble approprié d’évoquer un deuxième exemple puisé d’un cas reel qui ressemble énormément à la crise des missiles de Cuba. Une parfaite compréhension de ces notions est indispensable pour analyser l’échiquier stratégique ; aussi allons-nous brièvement explorer ce second exemple.

Un ami m’a raconté la mésaventure qu’a connue sa grande-soeur avec un magistrat il y a quelques années quand un de leurs frères avait eu des problèmes avec la justice dans un dossier. La soeur essayait de suivre l’affaire de son frère détenu avec le substitut du procureur. Ce dernier, tombé sous la beauté de la femme, l’a appâtée dans un « deal » : des relations sexuelles contre la libération de son frère. Devant le refus catégorique de la femme, le magistrat lui propose un paiement (100$) en sus de la libération du frère. Le deal devient alors relation sexuelle + paiement contre libération du détenu. La fille accepte finalement le deal sous la contrainte des événements car, en échange d’une transaction (une relation sexuelle avec une personne dont elle n’est nullement amoureuse) qu’elle estime dégradante voire moralement inacceptable (VN 0), elle obtient un paiement plus la libération de son frère (VR 1). Les deux parties étant d’accord, le « deal » est exécuté.

Ce que la fille ignorait est que le procureur de la République avait déjà décidé d’un non-lieu dans le dossier impliquant son frère détenu ! Donc en réalité, la transaction libération du frère avait une valeur réelle nulle (VR 0) !

Pour ne rien arranger, le billet de 100$ que le magistrat sans scrupules avait payé à la fille avait aussi un souci ; ce qui faisait passer également la VR de la transaction paiement de 1 à 0. D’où, le magistrat a eu deux transactions en sa faveur :

1) le sexe avec la fille (VN 0 VR 1)

2) faire libérer le frère de la fille (VN 1 VR 0)

Par contre, la fille a eu droit à deux transactions qui se sont avérées finalement en sa défaveur

1) le sexe avec le magistrat (*VN 0 VR 0*)

2) le paiement + la libération de son frère (VN 1 VR 0). Elle a donc été triplement perdante dans cette affaire.

Ainsi donc, on voit que l’approche transactionnelle peut être appliquée à plusieurs situations de la vie courante, et surtout de manière plus substantielle, dans l’étude de l’échiquier stratégique d’un conflit ou entre des parties en négociation. Leur intérêt ne se limite pas à la simple compréhension de la configuration d’un échiquier et des transactions y afférentes en situation de négociation ou de résolution d’un conflit, de stratégie, mais aussi et surtout pour anticiper les équilibres et déséquilibres généraux (il suffit pour ce faire d’additionner les cotes des valeurs de chaque partie) dans de telles situations, afin de savoir compenser les déséquilibres.

Nous allons le voir plus concrètement dans la négociation de l’accord de Luanda entre la RDC et le Rwanda

4) L’accord de Luanda entre la RDC et le Rwanda

Examinons brièvement la configuration de l’échiquier au moment où se négociait et devait être conclu l’accord de Luanda entre la RDC et le Rwanda.

Pour le Rwanda :

entretient une armée aguerrie et expérimentée, capable d’imposer une pression sur la RDC,

– nie officiellement sa présence militaire sur le sol congolais ainsi que son soutien au M23/AFC,

manipule des supplétifs M23/AFC portant des revendications politiques creuses et fantaisistes,

– prétend que la présence des FDLR et leur collaboration alléguée avec l’armée pose une menace justifiant la prise de ce qu’il qualifie de « mesures défensives ».

Pour la RDC:

a une armée encore structurellement faible, mais peut compter sur des alliés pour contester au Rwanda la primauté sur le champ de bataille,

rejette toute négociation avec le M23/AFC en dehors du seul cadre prévu (celui de Nairobi), déniant ainsi au Rwanda tout capital politique pour ses poulains que Kinshasa traite de « terroristes »,

insiste sur la seule négociation directe avec le Rwanda, qui est le patron des marionnettes M23/AFC.

Dans le projet d’accord qui aurait dû être signé à Luanda le 15 décembre 2024, les négociateurs avaient convenu de passer les transactions suivantes :

1) CONOPS (concept d’opérations) pour le désarmement/la neutralisation des FDLR

2) le retrait des « mesures défensives » du Rwanda

3) la reprise des négociations entre Kinshasa et le M23/AFC dans le seul cadre de Nairobi

Analysons les valeurs qu’avait chaque transaction pour chaque partie en présence :

Pour la RDC :

1) CONOPS pour neutralisation des FDLR (VN 1 VR 1)

Toutes les valeurs ici sont maximales, car en combattant les FDLR, la RDC améliore sa respectabilité internationale (VN 1) autant qu’elle se débarrasse d’un prétexte du Rwanda pour le déstabiliser (VR 1)

2) le retrait des mesures défensives du Rwanda (VN 1 VR1)

3) négociation avec le M23/AFC à travers Nairobi (VN 1 VR 0)

Ici Kinshasa obtient une valeur nominale maximale par l’image de fermeté qu’elle projette à travers cette transaction (VN 1), mais pour une valeur réelle nulle (VR 0), car elle laisse intact un prétexte du Rwanda.

D’où le Bilan Général (B.G.) de la RDC est : 2+2+1 = 5

Examinons les mêmes transactions du point de vue rwandais :

1) CONOPS pour la neutralisation des FDLR (VN 1 VR 0)

La neutralisation des FDLR offre au Rwanda une satisfaction de façade, d’où une VN maximale (VN 1), mais une VR nulle (VR 0), car les FDLR ont depuis longtemps cessé d’être une réelle menace pour le Rwanda.

2) levée des mesures défensives du Rwanda (VN 1 VR 0)

À travers cette transaction, le Rwanda obtient une VN maximale, car elle sauve sa respectabilité, mais ruine son moyen de pression sur l’État congolais, d’où une VR nulle (VR 0)

3) Négociation entre Kinshasa et le M23/AFC à travers Nairobi (VN 0 VR 0)

Le refus par Kinshasa d’un dialogue direct avec ses poulains, sans passer par un forum les amalgamant avec les autres groupes armés, ne correspond pas aux demandes insistantes de Kigali, d’où une VN nulle (VN 0) ; en même temps qu’il prive ses poulains du M23/AFC de se prévaloir de tout capital politique, d’où une VR nulle (VR 0)

Le B.G. du Rwanda est donc: 1+1+0 = 2

Ainsi donc, l’accord de Luanda était INACCEPTABLE pour Kigali, car très fortement déséquilibré en sa défaveur (2-5).

Ce que les négociateurs congolais auraient dû faire, c’est de pratiquer du 1/0 à la Kennedy, ou comme le magistrat immoral, c’est-à-dire FAIRE SEMBLANT DE FAIRE UNE CONCESSION À KIGALI pour lui donner une VR maximale (VR 1) sur la troisième transaction, alors qu’en réalité sa VR est de 0 (car la satisfaction des demandes du M23, au moment de ces négociations, n’est pas de nature à inquiéter la stabilité du pouvoir de Kinshasa).

Certes, le souci de Kinshasa de s’inscrire durablement dans le schéma de la resolution du cycle récurrent du conflit dans l’Est de la RDC est très parfaitement compréhensible ; mais l’agilité et la patience stratégiques commandent que FAUTE D’AVOIR LES MOYENS DE RÉSOUDRE UN CONFLIT, IL FAUT LE GÉRER !

Tshisekedi tenait Kagame « par les couilles« , pour ainsi dire, tant qu’il pouvait lui imposer une transaction VN 0 VR 0 en lui tenant tête sur le front militaire (grâce à un verrou FARDC+Alliés autour de plus grandes villes de l’Est du pays), étant donné que diplomatiquement parlant, Kagame était enfermé dans un carcan étouffant (avec un projet d’accord de Luanda fortement en sa défaveur).

Devançant la pression diplomatique supplémentaire consécutivement au changement d’administration à Washington, Kagame a décidé d’INVERSER L’ÉQUATION pour se sortir de cet étau, grâce à deux transactions :

1) reprise de l’initiative militaire pour prendre les grandes villes de l’Est et humilier du coup Kinshasa et ses Alliés ;

2) Forcer des négociations directes entre Kinshasa et le M23/AFC.

Comme Kennedy (qui avait concédé le retrait des missiles qui de toute façon étaient déjà devenus obsolètes), Fatshi peut parfaitement pratiquer du 1/0 face à certaines transactions, comme par exemple accéder aux revendications du M23/AFC permettant de donner à Kagame une victoire d’apparat (VN 1 VR 1), quitte à supporter momentanément l’humiliation et l’embarras public des déclarations tonitruantes précédentes, car les revendications du M23/AFC ne sont pas de nature à inquiéter la survie du pouvoir de Kinshasa (VR 0), sauf évidemment si le front militaire n’est pas figé d’une façon ou d’une autre.

Dans la troisième et dernière partie de cette étude, j’examinerai en détail ce que peut faire Kinshasa pour se sortir de la situation délicate actuelle résultant de la perte de sa crédibilité militaire.

Bruno Lepapa, expert et analyste des conflits internationaux

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