
Pendant ce temps, nous autres de Lemba, nous étions en quête d’une vedette capable de servir de référentiel musical à la commune. Des musiciens certes illustres, les Koffi Olomide, Kester Emeneya, François Defao, sont passés par Lemba, mais n’ont pas, pu ou voulu s’identifier à la commune. C’est ainsi qu’apparaît Jules Kwata et son Lokole en Suite. Malgré un début prometteur, il n’ira pas loin par manque d’organisation. L’espace était bien préparé pour un autre : Christian Kimbukusu, dit Dakumuda, qui crée et installe son orchestre : Laviniora Esthétique est né.
Ses galons, il les gagne à l’issue d’un concert officié par Zacharie Bababaswe à Kinkole au cours duquel il tient gaillardement tête aux rivaux de Wenge Musica. Lemba tient son champion. Désormais, il sera hors concours pour nous autres Lembalthèques (ainsi appelle-t-on les habitants de Lemba) : pour reprendre la conception politique du maréchal Mobutu, Dakumuda et son Laviniora Esthétique sont la commune de Lemba musicalement organisée. Ils sont dans notre peau. Cela veut dire que tout lembalthèque est d’abord Laviniora. Par la suite il peut choisir d’être fan de tout autre orchestre de son choix. Moi, j’étais fan de Wenge Musica, puis de Wenge BCBG après l’éclatement de 1998. Mais au naturel, j’étais d’abord Laviniora.
C’est le moment que choisit un autre fils de Lemba pour débarquer de son Londres de résidence pour se lancer dans la bagarre musicale : Rombeau Tunani. Très vite, il met en vogue la danse ‘‘Kalakunta’’, reprise par tous les grands de la musique kinoise à l’époque, et qui sera considérée comme une marque des enfants de Lemba partout à Kinshasa. La commune est menacée de scission entre ses deux champions ! Mais le grand mérite de Rombeau sera de se procurer les mêmes voitures de luxe que Koffi Olomidé, d’y inscrire des noms et de les colorer avec une bigarrure de couleurs pour en réduire l’importance aux yeux du public.
Dakumuda, lui, continue son chemin. Avec sa voix limpide et suave et son pas de danse, Dakumuda réussit à produire une musique de qualité et s’imposer parmi les meilleurs. Mais, comparé à Wenge Musica, il n’aura pas la reconnaissance qu’il méritait sur le plan national. Bien souvent, il restait la star de notre commune. Mais, ma foi, que nous étions fiers de lui ! En l’analysant, je vois repasser dans ma tête la conclusion de la chanson ‘‘Je m’y voyais déjà’’ de Charles Aznavour :
«… On ne m’a jamais accordé ma chance
«D’autres ont réussi avec peu de voix et beaucoup d’argent
«Moi j’étais trop pur ou trop en avance
«Mais un jour viendra je leur montrerai que j’ai du talent».
Maitre dans l’art du générique
Au fil du temps, Dakumuda passe maître dans l’art du générique, ce condensé de sébènes et d’animations endiablés qui mettent l’ambiance au top. Il en a produit beaucoup, mais deux sont restés dans la légende. D’abord, ‘‘Mushetu’’, de l’album Toumbouroutou, en 2002. Un générique, joué à merveille par le soliste Mubamini Tchesco avec des animations de l’animateur CPP, qui nous rendit si fiers le jour où, dans une discothèque de Nairobi au Kenya, nous voyions une foule débouler sur la scène, bouteille de bière visée sur la tête, chantant aux cris de :
«Eh Dakumuda
«Oh mokonzi ya ba shègue New Man
«Mokonzi ya ba shègue
«Nakozwa yo wapi
«Dakumuda».
Ensuite, Linda Castro en 2007, magistralement animé par l’animateur Magik, véritable cri de guerre dédié à la belle Linda Kamuhanga, l’enfant du camp des officiers de Lemba/Salongo, fille du regretté colonel Kamuhanga, joué admirablement par Whisky Solo, un virtuose de la guitare solo. Avec un plateau de danseuses dirigé par la cheftaine Laetitia, la file de l’avenue Zizi à Lemba Terminus. C’était simplement magique ! Les premières notes suffisaient pour enflammer les pistes de danse.
Pour nous de Lemba, Dakumuda a accompagné une part de nos vies. Pour ceux de ma génération, qui est la sienne aussi, sa musique a bercé nos années de jeunes adultes jusqu’à l’entrée dans l’âge des responsabilités. Entendre résonner le cri d’animation comme ‘‘Kanangiii Kananga… Ikatshu ! Kanangiiii Kananga … Ikotele’’, fait passer dans nos têtes des pans entiers de notre existence, nos moments de bonheur passés au Gracia, au Café Géa, au Roi Mabi, ou encore à l’Equinoxe de José Kalebo. Ça nous rappelle les souvenirs des amours déçues et réussies, et celui du passage de l’insouciance de la jeunesse après les études à nos premiers pas dans la vie professionnelle avec ses soucis et ses espérances.
Sagesse et profondeur
Il y a quelques jours, Dakumuda, devenu pasteur, a rejoint Eddie Barra, le fils de l’avenue Kilangwe à Lemba Terminus, le drummer de Laviniora Esthétique, qui a précédé son patron dans la félicité éternelle il y a quelques années. Sa musique était empreinte de sagesse et de profondeur, et pouvait servir de leçon morale à tous, croyants ou non, à l’image du générique ‘‘Linda Castro’’ :
«Ozala secrétaire
«To pe gouverneur,
«Ozala caporal,
«To pe général,
«L’élévation viendra du Seigneur
«Ya ye etonda n’esengo
«De longue duréé.
«Soki pona ba biens ya mokili
«Ko jalouser nga te
«Vanités des vanités
«Tout est poussières».
(Que tu sois un simple secrétaire ou un gouverneur ; que tu sois un caporal ou un général ; l’élévation viendra du Seigneur et te procurera un bonheur de longue durée. Ne me jalouses pas pour les biens matériels : vanités des vanités, tout est poussière).
Adieu Dakumuda.
Belhar Mbuyi, correspondance particulière
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