

Le mois d’avril est arrivé. En République démocratique du Congo, ce n’est pas un mois comme les autres. C’est le mois de la science, le mois des idées, des découvertes, des expériences partagées, des jeunes qui s’émerveillent, des filles et des garçons qui osent rêver d’ingénierie, qui fabriquent des robots à partir de rien. C’est le mois où la science descend dans la rue, entre dans les écoles, pénètre les quartiers, pour dire à chacun et chacune : tu fais partie de cette aventure.
Depuis douze ans, grâce à la Semaine de la Science et des Technologies – la désormais célèbre SST – le mois d’avril est devenu un rendez-vous attendu. Une habitude joyeuse et ambitieuse qui, chaque année, mobilise des milliers d’acteurs autour d’une même question : comment faire de la science une alliée du développement et du mieux-vivre ?
Cette année encore, la SST revient. Elle a grandi, elle a changé, elle a évolué. Et pour cette 12ᵉ édition, elle se présente sous un thème qui, je dois l’avouer, me touche particulièrement : Imagine demain : Science & Société. Pourquoi ce thème maintenant ? Parce que nous vivons un moment charnière. Un moment où notre avenir collectif demande à être pensé autrement. L’avenir ne se prédit pas, il se construit. Il ne se reçoit pas, il s’imagine. En 2025, alors que le monde s’interroge sur les limites de ses modèles de développement, que les bouleversements climatiques et les guerres frappent à nos portes, ce thème est une invitation à faire de la science un outil de dialogue, un moyen d’inclusion, une source d’espoir.
Oui, avril est arrivé. Et avec lui, cette formidable énergie collective qui, chaque année, nous rappelle que la science peut aussi avoir un visage humain, souriant, et profondément congolais.
Un mois d’espoir dans un pays éprouvé
Alors que nous nous préparons à célébrer cette 12ᵉ édition (SST12), notre pays traverse des épreuves qui ne peuvent être ignorées. Je tiens à exprimer toute ma compassion et ma solidarité envers les familles endeuillées, les sinistrés, et toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui confrontés à la perte, à la violence, à l’incertitude ou à l’exil.
Les inondations récentes à Kinshasa et au Kongo Central
Dans la nuit du 4 au 5 avril 2025, des pluies torrentielles se sont abattues sur Kinshasa et le Kongo Central, causant des pertes humaines et des dégâts matériels considérables. À Kinshasa, au moins 22 personnes ont perdu la vie et le bilan pourrait s’alourdir. Les infrastructures routières ont également été sévèrement touchées, perturbant les déplacements et les activités quotidiennes de nombreux habitants.
La situation sécuritaire préoccupante à l’Est de la RDC
Depuis janvier 2025, les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu sont confrontées à une intensification des violences armées. Les offensives du groupe rebelle M23 ont provoqué des déplacements massifs de populations. En plus des graves violations des droits humains signalées dans plusieurs localités, des centaines de milliers de personnes ont dû fuir leurs foyers, exacerbant une crise humanitaire déjà critique.
La situation de l’éducation dans ces régions reste profondément préoccupante. Des centaines d’écoles sont fermées, des enseignants déplacés, et des milliers d’enfants privés d’apprentissage, parfois exposés à des risques inacceptables.
Porter la science là où elle est attendue
Dans ce contexte de rupture et de vulnérabilité, la Semaine de la Science et des Technologies prend tout son sens. Elle rappelle que, même en temps de crise, transmettre le savoir, éveiller la curiosité, nourrir l’imaginaire scientifique, reste un acte essentiel de résistance et d’espérance.
Le cœur battant de cette mobilisation, c’est le Réseau des Catalyseurs. Présentes dans les provinces, engagées sur le terrain, ces équipes sont les visages concrets de la diffusion des sciences en République Démocratique du Congo.
Pour cette 12ᵉ édition, elles sont 41 équipes à s’être inscrites, avec 12 équipes actives à Kinshasa, 6 dans le Kongo Central, et 7 dans le Nord-Kivu, en dépit des conditions sécuritaires que l’on connaît. Ce seul chiffre dit quelque chose de fort : la passion de transmettre est plus forte que la peur.
Ce qui est aussi remarquable, c’est la composition même de ces équipes. En tout, elles rassemblent 1 109 membres, dont 529 femmes et 581 hommes. Une quasi parité rare dans le monde scientifique. Cela reflète un engagement féminin significatif dans les domaines des sciences et des technologies, en parfaite résonance avec l’ODD 5 et avec l’ambition de la SST de promouvoir les carrières STEM auprès des jeunes filles. Là encore, c’est une victoire douce mais puissante : celle d’un réseau qui donne aux femmes les moyens de faire entendre leur voix dans le débat scientifique.
Mieux encore, 23 de ces équipes participent pour la première fois. C’est plus de 56 % de renouvellement dans le réseau. La culture scientifique gagne ainsi du terrain, elle attire, elle inspire, elle fédère. Et cela, dans un pays qui en a bien besoin.
Il est ainsi magnifique de voir que, malgré le contexte difficile, des jeunes, des enseignants, des volontaires se lèvent pour dire : « Oui, nous voulons faire partie de cette dynamique. » La SST12 devient alors plus qu’un événement. Elle devient une déclaration de résilience, réaffirmant un droit inaliénable : celui de rêver, de s’instruire et de contribuer à bâtir l’avenir.
Un nouveau souffle pour Investing In People
Cette édition de la SST a aussi une saveur particulière pour moi, parce qu’elle est la première organisée sous la conduite d’une nouvelle direction au sein d’Investing In People ASBL. Ce que j’éprouve, c’est un mélange de fierté, de confiance et de tendresse.
Dora, qui a longtemps porté la vision scientifique de l’association avec rigueur et créativité, en assume aujourd’hui la direction générale. Elle connaît chaque recoin du projet, chaque frisson d’enthousiasme derrière une animation, chaque question posée par un élève. Elle a été l’architecte discrète de tant d’initiatives qui ont fait grandir cette Semaine.
À ses côtés, Rosalie prend désormais la relève en tant que Directrice Scientifique. Celles et ceux qui l’ont vue former des animateurs, encadrer des jeunes, et insuffler sa passion de la science sur le terrain, savent qu’elle est exactement à sa place.
Ce tandem ne part pas de zéro. Il s’inscrit dans une continuité solide, et lui donne un nouvel élan. C’est un passage de relais qui me rassure, parce que je sais qu’avec elles, la SST est entre de bonnes mains.
Imaginer demain, dès aujourd’hui
Cette année, la volonté de proximité prend une forme nouvelle. Pour la première fois depuis la création de la SST, il n’y aura pas de Village des Sciences à l’Institut de la Gombe. Ce rendez-vous traditionnel, que beaucoup attendaient avec impatience, laisse place à une autre dynamique : celle du déploiement direct des équipes dans les écoles.
Des animateurs et animatrices, formés pour cela, iront à la rencontre des élèves dans leurs établissements. Ce choix est audacieux. Il bouscule les habitudes, il réduira peut-être le nombre d’écoles touchées, mais il permet un lien plus intime, plus direct, plus enraciné. La SST12 veut aller là où les jeunes se trouvent, dans leur cadre quotidien. Elle se déroulera tout au long du mois d’avril, avec des activités portées par les équipes du Réseau des Catalyseurs dans les provinces, et un point culminant à Kinshasa, du 21 au 24 avril 2025, à travers des conférences, des expositions, et ces animations scientifiques dans les écoles.
La SST12 est ouverte à toutes et à tous. Enseignants, élèves, chercheurs, responsables publics, parents, jeunes curieux, passionnés d’astrophysique ou amateurs de bricolage scientifique… Que vous soyez à Butembo, à Boma, à Kisangani, ou à Moba, vous êtes partie prenante de cette dynamique.
Dans les temps de crise, la science n’est pas un luxe. Elle est un levier. Un outil pour comprendre les inondations qui ravagent nos quartiers, pour imaginer des écoles plus sûres dans les zones de conflit, pour reconstruire autrement, avec le savoir au cœur de nos politiques. Imaginer demain, n’est ainsi pas un slogan. C’est une posture. Une manière de refuser la fatalité, d’embrasser la complexité du réel, et d’y répondre par l’intelligence collective. En RDC, nous avons les ressources humaines, les idées, l’audace. Il ne nous manque que la confiance. Et peut-être un peu plus d’espace pour rêver ensemble.
Alors j’espère que vous serez de ce voyage. Parce que demain, c’est maintenant. Parce qu’imaginer demain, c’est déjà commencer à le construire.
Science is fun, join us ! 😉
Raïssa Malu, ministre d’État de l’Education Nationale et Nouvelle Citoyenneté.
Publié le 6 avril 2025 sur LinkedIn
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