Dans notre précédente tribune intitulée « Tout pour la patrie : Monsieur le Ministre, organisons d’abord la presse ; tenons le congrès de l’UNPC », nous avions relever l’importance de remettre sur pied cet organe faîtière de la pratique du métier d’informer qu’est l’Union Nationale de la Presse du Congo (UNPC). Nous indiquions que la « salubrité médiatique » prônée par le Chef de l’État depuis bientôt trois ans n’a de sens que par cette réorganisation de la presse entendue comme cadre approprié pour l’exercice d’un journalisme responsable et apte à offrir à la Nation un espace des rencontres sociétales pour la création préalable de l’unité et la cohésion nationales afin de faire plus efficacement face aux agressions extérieures.
« C’est ainsi que la « salubrité médiatique » renvoie prioritairement, et en toute urgence, à la nécessité de réorganiser le cadre de l’exercice professionnel qu’est l’autorégulation », écrivions-nous dans cette tribune dans laquelle nous ajoutons : « Et la réponse à cette nécessité n’est autre que la réorganisation de l’organe faîtière qu’est l’Union Nationale de la Presse du Congo (UNPC) ».
À l’étai de cette conviction, nous notions, et n’avons pas été contredit à ce jour, que « En effet, en ce genre de contexte comme en d’autres, les médias sont reconnus comme cadre des interactions sociétales et de formation de la conscience citoyenne. Ils sont aussi le creuset de consolidation de la solidarité nationale, de la cohésion et de l’unité nationale. Bref, il n’existe pas meilleur cadre de mesure de cette unité ou cette cohésion que la presse ».
Au plan international, les médias constituent un des piliers de la diplomatie par rapport à la « diplomatie médiatique » comme le sont la diplomatie culturelle ou la diplomatie sportive, etc. »
Après le grand intérêt suscité par cette tribune au regard de l’important feedback que nous avons reçu, sauf des décideurs qui en étaient pourtant les principaux destinataires, il nous a semblé utile d’étayer davantage notre argumentaire au moyen des faits historiques qui témoignent du rôle évident qu’a joué la presse de ce pays pour résoudre des conflits locaux, nationaux et même internationaux jusqu’à ce jour. Nous tirons ces témoignages des expériences que nous avions vécues personnellement comme l’un des acteurs majeurs de ces moments historiques dont la Nation est encore bénéficiaire à ce jour.
Ces expériences sont, en effet, tirées des activités menées dans la période trouble de 1998 à 2002 par l’Ong Médias pour la Paix qui fut animée par Modeste Mutinga (Président), Kibambi Shintwa (Vice-président) et Jonas Eugène Kota (Secrétaire exécutif).
Deux cas historiques ont connu un apport majeur de la presse dans la résolution des conflits. Il s’agit de la tenue du dialogue intercongolais jusqu’à la mise sur pieds de la Conférence internationale sur la paix, la sécurité et le développement dans les Grands Lacs (CIRGL) ainsi que du règlement du conflit interethnique Hema – Lendu.
La presse et la résolution des conflits : cas du conflit Hema-Lendu
À partir de l’année 2000, Médias pour la Paix organise une série de colloques et séminaires autour de la recherche de la paix. Ces colloques culminent avec celui de juin 2021 organisé sous la thématique nationale et transversale de l’époque, à savoir, « la réconciliation nationale ». Un forum qui se veut comme un cadre de réflexions et de propositions pour donner un contenu aux efforts de construction de la paix dans le processus qui, lui, va culminer avec la tenue du dialogue intercongolais à Sun City.
La particularité de ce cycle de forums est qu’il est soutenu par un noyau dur d’organisations associatives des médias animées par la volonté partagée d’une paix utile à tous comme un bien commun. On retrouve ainsi engagés des organisations comme JED, l’ANEAP, l’ANECO, l’UPC (qui deviendra UNPC plus tard), etc.
Au-delà des divisions politiques et de la solidarité tribalo-régionale qui se vit également dans le secteur de la presse, ces organisations parviennent à les transcender pour privilégier l’intérêt commun. Et cette unité se paye cash – positivement, bien entendu – avec des effets sur la production médiatique où les intérêts partisans sont tus pour ne privilégier que la cause de la paix.
Ceci est rendu possible par le fait que les responsables des différentes organisations sont des patrons de presse qui vont imposer à leurs médias une ligne éditoriale centrée sur la recherche de la paix.
Le colloque de juin 2001 au Centre Bondeko parvient, en effet, a formuler une recommandation qui décline la réconciliation nationale comme préalable à la résolution de la crise multiforme congolaise. « Le plus beau résumé de toutes ces articulations serait celui-ci : la réconciliation, c’est remettre en accord et en harmonie toutes les composantes de la société devant des règles d’équité que tous respectent », écrit alors, dans une de ses publications, Marie-Soleil Frère, consultante des partenaires des organisations, dont l’Institut Panos Paris, qui appuient la société civile à l’époque.
Réconciliation de Kabwizi et Watum de La Référence Plus, la porte vers la résolution du conflit Hema-Lendu
À la faveur de ce cycle des colloques, Médias pour la paix, et avec elle, les autres organisations professionnelles et associatives des médias, avait pu jouer un rôle déclencheur du rapprochement des élites Hema et Lendu pour résoudre l’un des conflits intercommunautaires les plus meurtriers de la fin de la décennie ’90 (près de 10.000 morts et plus de 700.000 déplacés, sans compter des dégâts économiques et matériels).
Comme aujourd’hui, ce conflit avait eu comme point d’instigation une main étrangère, celle de l’Ouganda, qui manipulait les rébellions congolaises de la région avec, notamment, le MLC de Bemba ainsi que le RCD-ML dirigé alors par Ernest Wamba Dia Wamba. Cela, sans oublier la multiplicité des milices communautaires locales.
Le rôle des médias dans cette recherche de la paix était partie de la recherche de la réconciliation entre deux confrères qui, de surcroît, appartenaient à une même rédaction du journal La Référence Plus. Il s’agit de Félix Kabwizi, issu de l’ethnie Hema, et de Denis Watum Jacan issu de l’ethnie Lendu.
Alors qu’ils ne pouvaient pas s’adresser la parole, la profession les avait rafistolé et cet exploit avait permis d’engager, avec succès, une démarche de réconciliation des élites des deux ethnies vivant à Kinshasa. Un lobbying sera ensuite engagé pour finir par établir une connexion avec les élites locales de l’Ituri qui, à l’époque, était hors de contrôle du pouvoir central.
Dialogue Intercongolais et CIRGL, le fruit du rôle transversal de la presse
C’est dans la même foulée de ces colloques que le forum de juin 2021 au Centre Bondeko va produire la réflexion qui sera versée, en octobre 2021, à la grande réflexion de la société civile en prévision du dialogue Intercongolais.
En octobre 2021 au centre catholique Theresianum, en effet, les organisations de la Société civile se réunissent pour produire leur agenda en prévision de leur participations au dialogue Intercongolais. Aujourd’hui encore, les historiens s’accordent pour dire que c’est le mémorandum de ce forum de la Société civile qui avait apporté les matériaux essentiels de la réflexion ; le même qui avait aussi servi de canevas de travail et apporté des propositions de recommandations dans tous les domaines : politique, diplomatique, économique, social, culturel, scientifique, sécuritaire, militaire, etc.
« Monsieur le Ministre , réorganisons d’abord la presse ; tenons le congrès de l’UNPC ! »
Pour y parvenir, les médias jouèrent un rôle transversal de cadre de liaison, de mobilisation et de rassemblement aussi bien des forces vives que d’autres intervenants à la recherche de la paix. Les médias, à travers leurs animateurs, vont aussi prendre une part très actives à ce que nous appelons « la diplomatie médiatique » en faisant le lobbying -sensibilisation à toutes les conférences où ils prennent part à travers le monde, telles que l’UIJPLF (Union internationale des journalistes et de la presse de langue française). C’est aussi dans ce cadre que des journalistes congolais, partis de Kinshasa dans le cadre des activités de ces organisations associatives, vont voyager jusqu’à Kigali et Kampala où ils vont tenir le discours de la dénonciation et d’appel au dialogue.
D’autres rencontres avec des journalistes rwandais et ougandais vont avoir lieu presque partout ailleurs (Nairobi, Ogun State au Nigeria, Ghana, Afrique du Sud, Banjul, Arusha, Addis-Abeba, etc.)
Bien entendu, ces rencontres ne sont pas souvent du goût du pouvoir en place et quelques fois, certains voyageurs sont inquiétés à leur retour au pays. Mais le fait est que les médias auront réussi à jouer un rôle capitale dont le pays est encore bénéficiaire aujourd’hui.
Ces prouesses n’auraient jamais été possibles, dans ce contexte là de crise quasi identique à la situation actuelle si les médias n’étaient pas réunis et rangés derrière une cause nationale. Aujourd’hui, alors que ce même pays, la RDC, fait face à la même situation de la part du même ennemi et dans l’indifférence complice de la même communauté internationale, c’est cette actrice majeure – la presse – qui lui fait cruellement défaut.
D’où notre appel que nous réitérons : « Monsieur le Ministre , réorganisons d’abord la presse ; tenons le congrès de l’UNPC ! ».
Jonas Eugène Kota dans congoguardian.com
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