

Jeune juriste de formation et chercheur en droit, Rhema Mafuta a élaboré une proposition de loi portant modification de la procédure actuelle de nomination des juges constitutionnels. Voici ci-dessous l’Expose de motifs et le dispositif de sa pertinente proposition de loi qui écarte totalement l’Exécutif du processus de désignation des juges de la Cour constitutionnelle.
Exposé des motifs
Depuis son installation, la Cour constitutionnelle occupe une place centrale dans la garantie de l’Etat de droit et la protection de la Constitution en République démocratique du Congo. Cependant, la procédure actuelle de nomination des juges, telle que prévue aux articles 158 de la Constitution telle que révisée par la loi 11/002/ du 20 janvier 2011 et 2 de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle du 15 octobre 2013 confère une prépondérance notable, voire accrue au pouvoir exécutif dans la désignation des membres. Cette situation, bien que conforme aux textes en vigueur, expose l’institution à des perceptions de dépendance politique et fragilise la confiance du public quant à son impartialité. Dans un Etat démocratique, la légitimité des juridictions constitutionnelles repose sur leur indépendance réelle et perçue, leur compétence et la transparence des procédures de désignation.
A titre de rappel, il est impérieux de marteler sur le point que la configuration actuelle, prévue à l’article 158 de la Constitution, accorde la nomination de six des neuf membres à des institutions politiques : trois par le Président de la République et trois par le Parlement. Si ce schéma vise théoriquement un équilibre institutionnel, l’expérience pratique a montré :
- Une concentration excessive du pouvoir de nomination. En pratique, l’Exécutif exerce une influence notable,non seulement sur ses propres nominations, mais aussi indirectement sur celles du Parlement et, dans certains cas, sur celles du Conseil supérieur de la Magistrature, notamment par des affinités politiques ou des nominations antérieures dans la carrière des magistrats.
- Une absence de procédure transparente et participative. L’actuel dispositif ne prévoit pas d’appel public à candidatures, ni d’auditions ouvertes de ceux qui doivent représenter les intérêts du souverain primaire. Les choix restent opaques,privant les citoyens et la Société civile de tout droit de regard sur la compétence et la probité des futurs membres de cette prestigieuse Cour.
- Des risques de politisation et d’atteinte à l’indépendance. La nomination de juges ayant exercé des fonctions politiques récentes ou étant membres d’unparti politique compromet l’impartialité perçue et réelle de la Cour.
- Un déficit de légitimité et de confiance du public. Dans plusieurs affaires à forte portée politique, la crédibilité des décisions de la Cour a étécontestée, non pas seulement sur leur contenu, mais sur la base de soupçons quant à l’indépendance de ses membres. Or, dans un Etat de droit, la légitimité de la justiceconstitutionnelle repose autant sur l’indépendance réelle que sur l’indépendance perçue.
Cette proposition de loi s’inscrit donc dans la perspective de réforme structurelle, inspirée de bonnes pratiques observées dans d’autres juridictions constitutionnelles, telles que : La transparence du processus de nomination (Afrique du sud, Kenya) ; L’appel à candidatures (Canada, Afrique du sud) ; La participation d’organes indépendants de sélection (Allemagne, Bénin).
La présente réforme vise à : – Soustraire la procédure de nomination à toute influence directe des institutions politiques ; – Confier le choix des membres de la Cour à des instances professionnelles, académiques et civiles, représentatives et indépendantes ; – Etablir des règles strictes de transparence et de mérite dans le recrutement ; – Garantir un équilibre institutionnel qui protège la Cour de toute mainmise partisane ;
Cette nouvelle architecture permettra de consolider l’Etat de droit en République démocratique du Congo, de renforcer la confiance des citoyens dans l’impartialité des juges constitutionnels et d’assurer l’égalité des citoyens devant la loi ; de renforcer la compétence et l’intégrité des juges par un processus de sélection basé sur des critères objectifs, publics et vérifiables ; et enfin, d’instaurer la transparence et la confiance par des auditions publiques, la publication des dossiers et la possibilité, pour la Société civile, d’exprimer des observations et critiques.
En résumé, cette réforme vise à garantir que les juges constitutionnels soient nommés, non pas en fonction d’intérêts politiques, mais en fonction de leur mérite, de leur intégrité et de leur engagement à défendre la Constitution au-dessus de toute considération partisane.
Présentation
La présente loi comprend quatre articles. Le premier énonce la modification et les innovations apportées à l’article 158 de la Constitution ; le deuxième insère l’établissement du mécanisme rigoureux et exclusivement public dans le recrutement des membres de la Cour ; le troisième indique les dispositions transitoires ; et Enfin, le quatrième fixe la date de son entrée en vigueur. Telle est l’économie générale de la présente loi. L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté ; Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Dispositif
Article 1er : Modification de l’article 158 de la Constitution par les dispositions suivantes :
La Cour constitutionnelle comprend neuf membres nommés pour un mandat de neuf ans non renouvelable avec un renouvellement tertiaire prévu tous les trois ans.
La désignation de ses membres s’effectue comme suit :
- Deux membres sont élus par le Conseil supérieur de la Magistrature, parmi les magistrats de carrière ayant au moins quinze années d’expérience.
- Deux membres sont élus par l’Opposition politique à la suite d’une concertation avec consensus.
- Deux membres sont élus par le collège national des bâtonniers, parmi les avocats inscrits au tableau depuis au moins quinze ans.
- Deux membres sont élus par le collège des doyens des facultés de droit accréditées, parmi les enseignants titulaires d’un doctorat en droit ou équivalent, et ayant au moins quinze ans d’expérience.
- Un membre est élu par un collège national des organisations reconnues de défense des Droits de l’Homme, après un appel public à candidature.
Les élections se font à la majorité des deux tiers des membres de chaque organe désignateur. Le renouvellement des membres de la Cour constitutionnelle s’effectue par tirage au sort. Ce tirage au sort est organisé publiquement par une commission indépendante composée de représentants du Conseil supérieur de la Magistrature, de l’Opposition politique, de l’Ordre national des avocats, des organisations de Droits de l’Homme et des doyens de la faculté de droit. Le tirage au sort se déroule en présence d’un notaire et fait l’objet d’une retransmission publique afin de garantir la transparence, l’impartialité et la confiance citoyenne. Aucune autorité politique, y compris le Président de la République, le Gouvernement ou le Parlement, ne peut intervenir, directement ou indirectement, dans la procédure de sélection ou de nomination.
Pour plus d’inclusion populaire, le Parlement, à travers une commission mixte et temporaire, peut requérir ces membres sélectionnés pour auditionner à priori. Les modalités pratiques de la désignation, l’organisation des appels à candidatures, la vérification des conditions d’éligibilité et la prestation de serment sont fixées par une loi organique.
Article 2. L’article 2 de la loi organique est remplacé par les dispositions suivantes :
Les membres de la Cour constitutionnelle sont recrutés exclusivement sur la base d’un appel à candidatures organisé par les organes désignateurs mentionnés à l’article 158 de la Constitution. Les candidatures sont examinées selon des critères de compétence, d’intégrité et d’indépendance, comprenant : Une expérience professionnelle d’au moins 15 ans dans les domaines du droit, de la justice ou de l’enseignement supérieur en droit ; L’absence d’une condamnation pénale pour des faits de corruptions, détournements des deniers publics, immoralité ou de probité morale ; L’absence d’exercice d’un mandat électif, d’une fonction politique ou d’une fonction gouvernementale dans les dix années précédant la nomination ; Les organes désignateurs publient la liste des candidats, procèdent à des auditions publiques et rendent public un rapport motivé sur le choix opéré. Aucune candidature ne peut être validée sans que le processus complet prévu par le présent article ait été respecté.
Article 3. Dispositions transitoires
Les membres en fonction à la date d’entrée en vigueur de la présente loi poursuivent leur mandat jusqu’à son terme légal. Toute vacance survenant après cette date est pourvue conformément aux nouvelles dispositions.
Article 4. Entrée en vigueur
La présente loi entre en vigueur à la date de sa promulgation.
Rhema Mafuta, Juriste et chercheur en droit
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