L’insecticide de la haine : notre devoir d’élite face à l’histoire qui bégaie

Il y a quelques jours, nous avons lu un court texte d’une fulgurance rare. Il disait ceci : « La fourmi, par haine du cafard, vota pour l’insecticide. Ils moururent tous, y compris le grillon qui s’était abstenu ». Ce dicton, à première vue anodin, nous a interpellés avec force. Il évoque ces moments où, sous le coup de la colère ou de la peur, nous faisons collectivement le choix du pire. La fourmi, croyant punir le cafard, soutient une solution radicale : l’insecticide. Mais cette solution empoisonne tout le monde, y compris le grillon qui, pensant rester neutre, s’était abstenu.

Cette image, profondément métaphorique, résonne puissamment avec notre histoire récente. Elle a éveillé en nous la nécessité de participer au débat, non comme spectateur, mais comme citoyen engagé, membre du peuple, et voix de l’élite responsable. Ce texte est notre contribution.

1996 : La mémoire de l’insecticide

Nous avons été des millions à espérer, en 1996, qu’avec la chute de Mobutu, notre pays renaîtrait. L’AFDL, accueillie comme libératrice, n’était qu’un cheval de Troie. Une rébellion « congolisée » mais téléguidée par des intérêts étrangers – principalement le Rwanda et l’Ouganda – dont les véritables objectifs étaient l’exploitation de nos ressources et la vengeance contre des réfugiés hutus. Nous pensions éliminer un tyran, mais c’est la souveraineté même de la République Démocratique du Congo qui fut pulvérisée. Nous n’avons pas été libérés. Nous avons été pris en main. Le bilan : des millions de morts, des générations traumatisées, une instabilité chronique. Nous pensions nous être réveillés. Mais voilà que l’histoire revient, tragiquement déguisée.

2022–2024 : Une mémoire courte, une erreur longue

Aujourd’hui encore, certains parmi nous, par rejet du président Tshisekedi, manifestent une sympathie ouverte ou silencieuse envers le M23. Cette milice, soutenue une fois de plus par le Rwanda, n’a rien d’un mouvement populaire. C’est la répétition cynique du piège de l’AFDL. Et pourtant, nous marchons encore. Aveuglés, divisés, mal informés, nous faisons à nouveau le jeu de ceux qui veulent voir notre État vaciller. Nous devenons nous-mêmes les ouvriers de notre propre effondrement.Nous ne sommes ni fourmis, ni cafards, ni grillons.

Ce texte n’est pas un réquisitoire contre le peuple. Car nous en faisons partie. Mais c’est un appel direct à l’élite congolaise, à ceux d’entre nous qui savent, qui comprennent, qui lisent. Ce que nous vivons est le résultat d’un abandon collectif de la responsabilité intellectuelle et politique. La masse suit ses instincts. C’est à l’élite de l’éclairer, non de la flatter ni de la mépriser. Si nous n’agissons pas pour élever le niveau de conscience de notre peuple, alors nous sommes complices de ses erreurs.

Le vrai antidote : une élite lucide, courageuse et engagée

Ce pays ne sera pas sauvé par des sauveurs autoproclamés, ni par des groupes armés, ni par des abstentionnistes confortables. Il le sera – si nous le voulons – par une élite qui assume son rôle de levain, de mémoire et de boussole. Une élite qui connaît les pièges de l’histoire et ne s’y laisse plus prendre, se tient debout face aux manipulations, refuse la haine aveugle et la violence comme seul langage politique.

Nous n’avons pas besoin d’une autre guerre. Nous avons besoin d’un autre regard, d’un autre niveau de conscience, d’un autre discours. À ceux qui pensent que leur silence est neutre, nous devons être clairs : le silence n’est pas une position morale. L’abstention n’est pas une neutralité vertueuse. C’est un abandon. Comme le grillon du dicton, ceux d’entre nous qui ne disent rien aujourd’hui, qui ne s’opposent pas à la réédition de l’histoire de l’AFDL, mourront symboliquement avec elle, pas en silence cette fois, mais dans l’amertume d’avoir vu venir la tragédie sans rien faire.

En conclusion : reprenons notre place dans le destin du pays. Nous ne sommes ni cyniques, ni idéalistes. Nous sommes réalistes : le Congo ne survivra pas à une nouvelle génération d’élites ignorantes ou désengagées. Nous avons un devoir de parole, de vérité et de transmission. Nous ne devons pas seulement constater les erreurs : nous devons devenir l’alternative. Comme l’écrivait David Van Reybrouck dans Congo, une histoire : « Des millions de morts plus tard, les Congolais découvrirent que leur haine contre un tyran avait été exploitée pour asseoir une nouvelle forme d’oppression ». Nous n’avons plus le droit de faire semblant de ne pas savoir. Nous, élites congolaises, devons désormais être l’antidote. Sinon, nous serons, une fois de plus, les complices de l’insecticide.

Bazil Palambwa, Citoyen congolais, voix engagée pour une élite responsable

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